A Paris pour expédier quelques affaires courantes, je me baladais samedi dernier au long de l’ancien parcours du train dit de la Petite Ceinture, entre La Muette et la Porte d’Auteuil.
Cette gorgée de campagne, à deux pas du périphérique, fait remonter des souvenirs de mon enfance, en un temps où les supermarchés n’existaient pas. La pré histoire ou presque ! En ces temps reculés, les maîtresses de maison de ce quartier pudiquement bourgeois rivalisaient d’ardeur à trouver les meilleurs « fournisseurs ». L’une en pinçait pour le boucher de la rue de Passy, l’autre pour celui de la place d’Auteuil, une autre encore attribuait la palme à l’un des artisans de l’avenue Mozart. Puis, concurrence des grandes surfaces oblige, les bouchers et leurs morceaux choisis – même si le XVI ème est un îlot de résistance du « bien manger » – ont plus ou moins disparu. Adieu la poire, l’épigramme, la panoufle… Mots et saveurs oubliés que par un surprenant retour de balancier nous retrouvons aujourd’hui chez les bouchers nouvelle manière, fous de goût, généralement cravatés et impeccablement sanglés dans leur tablier noué à l’ancienne, dont Hugo Desnoyer, lui tout de noir vêtu, est l’un des parangons.
Boucher attitré de nombreux chefs triplement étoilés, de l’Elysée, du Sénat et des stars qui n’hésitent pas à faire la queue dans sa boucherie de la rue Boulard (dans le XIV éme arrondissement), Hugo Desnoyer est revenu sur les lieux de ses premiers crimes. Aujourd’hui à la tête de l’ex boucherie Tranchant (ça ne s’invente pas !), rue du Docteur Blanche, (celle de mon enfance justement) où il fut apprenti, il propose aux nombreux gourmets du quartier une viande maturée à point dans ses propres frigos. Dans un cadre élégant et design, imaginé par Alain Baudouin, la viande de vache limousine élevée en Charente voisine en majesté avec l’agneau de Lozère ou de Belle Ile, le veau de Corrèze ou de Savoie, le porc fermier du Sud Ouest et les volailles biens nées de Bresse, du Pâtis etc.. Le « louchébem », ainsi se nomment les bouchers en argot de…boucher, a parachevé cette œuvre gourmande en ouvrant une table d’hôte dont on se dispute âprement les 20 couverts (surtout le samedi à midi, pour lequel il faut réserver deux semaines à l’avance).
Faute de bœuf on mange des (bonnes) vaches !
Pourquoi son boeuf est il si tendre et si moelleux ? Parce que c’est de la vache pardi ! Hugo Desnoyer l’explique, « il n’y a pratiquement plus de bœuf, c’est-à-dire des taureaux gras castrés en France. Je choisis des vaches de 5 ou 6 ans qui ont déjà vêlé. Quand elles ont eu un ou plusieurs veaux, leur morphologie change. Leur chair développe un gras intramusculaire très fin. La viande est persillée, avec un goût magnifique ». Les six derniers mois de leur vie, les bêtes qu’il a choisies chez l’éleveur suivent un régime spécial de céréales produites à la ferme, mêlant blé, maïs aplati, avoine, féveroles, pulpe de betterave.
Hugo Desnoyer travaille avec des petits abattoirs familiaux, comme celui de Confolens, en Charente, « où on sait s’y prendre avec les animaux. Quand on va chercher une bête, il ne faut pas oublier qu’elle n’a jamais voyagé de sa vie ! » C’est que l’abattage est un moment décisif. « Si l’animal est stressée, ses chairs se nouent et deviennent acides, ce qui gâte irrémédiablement le goût et la tendreté de sa viande. Ensuite, la viande mûrit en chambre froide. Il faut 3 à 4 semaines pour développer ses saveurs et qu’elle devienne très tendre. Je laisse plus de gras sur les carcasses, pour mieux les conserver. Cela fait deux siècles que le procédé existe, je n’ai rien inventé ! J’attends que la chair rassisse. Les bactéries grignotent les mauvaises fibres. Elles rendent la viande goûteuse et admirable. J’attends ce moment avec gourmandise. C’est comme ça que j’aime mon métier. »
C’est comme ça aussi que nous l’aimons !
Menu carte blanche (2 entrées, plat, fromage, dessert) concocté par Angie Fouquoire, jeune chef échappé du Crillon. Sinon, à la carte 35 à 50 €, plat du jour 28 €, très jolie cave.
Les adresses d’Hugo Desnoyer
- Boucherie Hugo Desnoyer : 45 rue Boulard 75014 tél. : 01 45 40 76 67
- L’étable Saint Germain : 17 rue Clément 75006 Paris : 01 42 39 89 27
- Boucherie et table d’hôte Desnoyer & Co : 28 rue du Docteur Blanche 75016 : 01 46 47 83 00.
- Restaurant Grillé : Hugo Desnoyer ne se limite pas aux tables de prestige. Les habitués savourent ses viandes en kebab, en sandwiches et en burger. 15, rue Saint-Augustin Paris 75002, tél. : 01 42 96 10 64